de mer de soleil et de sang...


Jean-Marie Dallet est un romancier discret, il se tient loin du petit monde germano-pratin...et pour cause il écume les mers sur son bateau entre la France et le pacifique-sud (le monde est donc vaste). Tahiti semble être devenu son jardin et par extension le théâtre de son travail de romancier, De pareils tigres fait état d'une affaire de piraterie dans les eaux de la Polynésie qui défraya la chronique française à la fin du XIXème siècle. Parce qu'elle fut en marge de l'affaire Dreyfus, que les deux protagonistes les frères Rorique se retrouvèrent au bagne de Cayenne en même temps que lui, et surtout parce qu'en France des intellectuels (Zola, une journaliste libertaire du nom de Séverine...) prirent fait et cause pour les deux frères et constituèrent un groupe de pression pour obtenir leur libération.
Mais au fait de quoi les accuse t-on ?
De s'être emparé d'un navire le Niuroahiti et d'avoir tué son équipage.
Mais les accusations se fondent sur le seul témoignage du cuisinier de bord et de concours de circonstances qui jouent en leur défaveur.

En réalité, à la lecture du roman on ne peut pas savoir s'il sont coupables ou non, les deux visions de l'affaire sont racontées simultanément par un jeu très habile d'alternance de narrations. Les différents narrateurs viennent jouer les deux musiques en parallèle.

Le roman est très subtil parce qu'il n'est pas à thèse, il ne cherche pas à découvrir la vérité, mais seulement à montrer l'aventure humaine ( d'où en exergue du livre cette phrase de Conrad : "la réalité est cachée. Dieu merci").
Après tout peut importe que ces frères Rorique soient coupable ou non, leur histoire est celle de deux tigres qui ne veulent pas se laisser enfermer, dompter par les conventions du monde, une histoire d'hommes libres comme on peut en trouver chez Conrad, ou comme pouvait l'être Gauguin (un des protagoniste et narrateur de l'aventure)

De pareils tigres est à tout les niveaux un roman envoûtant, jouant de l'exotisme des mers du sud, mais sans tomber dans le cliché, il y a là un pouvoir d'évocation presque magique; d'une part le lecteur sent très bien le fond documentaire et la précision sur laquelle prend appuis l'histoire (les termes de marine ne trompent pas, Dallet connaît son affaire ), mais en plus par un très habile jeu de narrations et de voix qui tissent le fil du récit.

On ressort du roman avec la tête encore pleine des embruns de Tahiti mais aussi des affres de l'épouvante du bagne de Cayenne.

Ce n'est pas pour rien que l'on retrouve Conrad comme narrateur partiel de l'histoire ni que l'on pense fréquemment à Jules Verne (c'est un sujet dont il s'inspira pour écrire les frères Kip). En fait ne manque que Segalen au tableau (mais lui viendra à Tahiti que des années plus tard pour être le chroniqueur d'un monde disparu) et nous aurions une évocation de toute cette époque pour qui l'invitation au voyage fut une vraie source créatrice.

Dans le roman et pour le lecteur, il s'opère un renversement de la notion d'exotisme. Comme le note Segalen dans son journal des Iles :
« La relativité de la sensation d'exotisme est plus qu'avérée. Ce n'est qu'un recul dans l'espace, un lointain, ou bien, le lointain aboli, une surprise des premiers instants. Maintenant, voici que je vis très naturellement en des « pays enchanteurs » […] et que c'est le retour vers la vieille Europe qui me semble mirage. »
Dallet nous fait admirablement bien nous acclimater à ce Pacifique sud au point de nous faire sentir cette relativité de la notion d'exotisme.
Mais c'est certainement là un réflexe d'enfant. L'appel sauvage de l'aventure qui vient hanter le lecteur. parce que De pareil tigres est et reste avant tout un grand roman d'aventure.

Jean-Marie Dallet, De pareils tigres, Editions du Sonneur
lien pour feuilleter les premières pages ici



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