Jim Tom et Alice

C'est avec ces trois prénoms que se résument mon été de lectures. Trois romans que j'ai choisi pour une plongée dans le monde de l'enfance, trois destins qui rencontrent et qui nous parlent de ce qu'est l'imaginaire. Trois romans que l'on dit pour enfants (et ils le sont aussi à des degrés divers), mais qui me semblent être plus des romans du monde de l'enfance (comme cela plus personne n'est exclus) : Alice aux pays des merveilles, les Aventures de Tom Sawyer et l'Ile au trésor. Trois immenses romanciers Lewis Carroll, Stevenson et Mark Twain.

Trois façons de vivre et de rompre avec le monde de l'enfance car l'enjeu de ces histoires est précisément de faire grandir chacun des personnages : Alice dans ses rêves de l'autre coté du miroir, Jim à la recherche du trésor caché de l'île et enfin Tom dans ses aventures au bord du Mississippi. Mais finalement trois romans très ambigus car ils provoquent des effets diamétralement opposés que le lecteur soit adulte ou enfant. Je m'explique, ces romans portent en eux le monde de l'enfance mais aussi la mélancolie de la perte de ce monde. Un lecteur enfant trouvera dans ces lectures de quoi grandir en s'identifiant aux héros, mais un lecteur adulte trouvera lui un moyen de retourner provisoirement en enfance; que ce soit dans le monde onirique et farfelu d'Alice, dans les espiègleries de Tom (lui qui souhaite notamment mourir temporairement), ou dans l'expérience de la grande aventure de Jim (exotisme de l'île, quête d'un trésor, voyage en mer avec des pirates...).
Il y a là l'expérimentation de l'étrange pouvoir de la lecture.
Georges Bataille au début de La littérature et le mal écrit que "la littérature c'est l'enfance enfin retrouvée"(1). Et si c'était là le secret du romanesque pour nous faire lire, pour nous captiver.
En latin le mot enfant est in-fantia (littéralement a-parlance). Quignard dit qu' "Il renvoie à un état initial, non social, qui fait source en nous" (2). On peut aussi bien renvoyer la littérature à cette chose primordiale, qui fait source (Quignard la teinte de mélancolie et de solitude ). Alice dans son rêve de l'autre coté du miroir invente du langage et un monde dans lequel elle a tout à apprendre. Stevenson repousse les limites du monde de Jim et Twain une morale à apprendre.
Si la littérature c'est l'enfance enfin retrouvée, il y a bien là pour le lecteur la liberté de se retrouver à chaque fois devant un monde neuf à inventer dont on apprend les codes (comme la langue) au fur et à mesure de la lecture. On se retrouve dans un position infantile en adéquation avec le roman que l'on tiens.

Jim relate ses aventures comme le fait Alice, mais il ne le fait pas comme un enfant (il ne nous dit pas quel est son âge quand il commence sont récit, il est certainement adulte et pourtant il se réinstalle dans sa propre enfance, il abolit la distance qui le sépare de ses souvenirs). Alice au contraire est totalement immergée dans le monde de l'enfance elle nous parle depuis son rêve.
Alice est dans l'apprentissage du monde.
Jim et Tom sont dans l'usage du monde.

Henry James aime à penser que "le romancier doit écrire à partir de son expérience, que ses personnages doivent être réels, semblables à ceux que l'on peut rencontrer dans la vie" (3).
Dans la gentille querelle qui l'oppose à Stevenson en 1884, il lui reproche son maque de réel parce que dil-il "j'ai été enfant, mais je n'ai jamais été à la recherche d'un trésor"(4). C'est entendu dans la réalité. Stevenson lui répond par le truchement de ce qui précisément manque le plus à James, le sens de de l'imaginaire : " Voilà, en vérité, un paradoxe provocateur, car s'il n'a jamais été à la recherche d'un trésor caché, c'est la preuve qu'il n'a jamais été un enfant." (5)

C'est bien ce qui est en jeu dans ces romans là, ce que ces romanciers questionnent le plus profondément. Je veux parler de l'étendue du territoire de l'imaginaire.
Il est variable chez les garçons mais il prend sa source dans le réel, alors qu'Alice explore des mondes souterrains et inconnus.
Ce qui les rejoint tous trois c'est l'utilisation que l'on peut faire du monde, c'est la puissance de l'imaginaire.
Tom Sawyer est un roman fait de l'espièglerie des enfants du XIXè siècle dans cet illinois qui borde le Mississippi. A la lecture on sent vraiment une grande entre l'auteur et son sujet. Twain est aussi espiègle que Tom, il jubile d'écrire ses aventures. Tom projette de mourir temporairement (par amour suite à une dispute avec Becky) c'est là que la machine à rêve s'emballe, il n'y a qu'un enfant pour penser cela et le mettre en pratique. Tom n'a aucune idée des conséquences en fait il s'en fiche. L'imaginaire lui ouvre le champ des possibles.
Les aventures d'Alice, elles, sont totalement dans l'imaginaire, elle use, forme, et transforme les mots, elle modèle sa fiction au moment ou elle l'a vit. Les garçons eux embrassent le monde, leur imaginaire réside dans les potentialités du monde réel, pas dans celui qu'ils fabriquent.
Dans l'ensemble on peut penser que les trois romans laissent ouvert leur monde sur l'imaginaire, y compris leurs fins. Rien n'empêche le lecteur de rêver à des suites. Il y en a eu pour Alice et Tom et on peut sans hésiter rêver aux autres aventures de Silver puisqu'il arrive à s'enfuir avec un peu d'argent.

"Avant quand je lisais des contes de fées, j'imaginais que ces choses là n'arrivaient jamais, et me voilà maintenant au beau milieu d'un conte ! On devrait écrire un livre sur moi c'est certain." (p 78).

Les éditions lues sont : la nouvelle traduction des Aventures de Tom Sawyer de Mark Twain (assurée par Bernard Hoepffner, édition Tristram), Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll (traduction nouvelle de Laurent Bury, livre de poche), L'île au trésor de Robert Louis Stevenson ( traduction de La pléiade de Marc Porée, Folio).

(1) La littérature et le mal, préface, folio essai.
(2)Pascal Quignard, La barque silencieuse, éd du Seuil, p 64.
(3) Michel Le Bris, Une amitié littéraire : James Stevenson, Payot, p 84.
(4) ibid, p 97.
(5) ibid, p 110.

Commentaires

  1. Trois livres lus à voix haute au fiston, dans la vieille tradition. En espérant lui préparer des souvenirs.

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  2. Twain, suite. Petite note pour signaler une (relative) injustice qui me laisse un peu triste comme éditeur : Freddy Michalski (le traducteur de James Ellroy) traduit depuis 2002 l’œuvre de Mark Twain pour les éditions L’Oeil d’Or : on y trouve Le journal d’Adam, le Journal d’Eve, L’Étranger mystérieux (inédit), les Lettres de la terre (inédit), Le Prétendant américain (inédit)… et Hucleberry Finn, dans une tout aussi nouvelle traduction…Le tout illustré de « hors textes » : chaque livre est accompagnées d gravures de Sarah d’Hayer. Bon voilà, c’est dit…

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  3. C'est juste, le Journal d'Adam et Eve est un vrai petit bijou d'humour et d'intelligence. La nouvelle traduction de Huckleberry Finn n'est pas encore arrivée, mais je pense lire celle-ci.

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