De Bassmann et de quelques autres II



L'univers post-exotique est une constellation fragmentaire, chaque œuvre qui parait est une nouvelle pièce d'un puzzle. Chaque texte porte en lui la totalité post-exotique et reste en même temps un fragment, un moment, une porte d'accès de cette "littérature étrangère écrite en français ".

On trouve chez Deleuze et Guattari dans leur essai Kafka pour une littérature mineure une réflexion qui me semble t-il peut s'appliquer à la littérature de Volodine : " Une littérature mineure n'est pas celle d'une langue mineure, plutôt celle qu'une minorité fait dans une langue majeure. Mais le premier caractère est de toute façon que la langue y est affecté d'un fort coefficient de déterritorialisation. Kafka définit en ce sens l'impasse qui barre aux juifs de Prague l'accès à l'écriture, et fait de leur littérature quelque chose d'impossible : impossibilité de ne pas écrire, impossibilité d'écrire en allemand, impossibilité d'écrire autrement." Il me semble que tout le manifeste post-exotique se retrouve contenu dans ces phrases. Le post-exotisme se pose comme une littérature mineure parce qu'elle s'assume comme une littérature étrangère écrite en français, elle l'est parce qu'elle est un moment particulièrement politique de la langue, et enfin elle est mineure parce qu'elle pose la question de la déterritorialisation, rappelons que la galaxie des auteurs sont des prisonniers et que leurs voix nous parviennent depuis leur monde clos, voilà pourquoi dans l'univers fictionnel crée par Volodine tout ce joue dans et à partir de la prison, les femmes et les hommes sont prisonniers dans un espace clos coupé de tout (un monde sans territoire), et la seule porte d'accès vers la littérature est celle du rêve (en réalité le cauchemar, parce qu'il y a ce sentiment politique). Toutes les histoires crées au sein de la prison se déploient dans un univers imaginaire dominé par le mauvais rêve et les mondes de l'au delà ou de l'après (Bardo, Chamanisme...). Les habitants de la prison se racontent des histoires pour sortir du monde de quatre murs et non pour le décrire. Tous les textes post-exotiques naissent dans l'espace carcéral et tous tentent de romancer un monde imaginaire. Il y a là de la fiction dans la fiction. Le post-exotisme est un monde de fiction entièrement tourné dans un moment qui se situe après l'Histoire, et où l'on sait que l'humanité va disparaître. Le symptôme est que le temps à presque déjà disparu, il est devenu circulaire et totalement contaminé par le cauchemar. Chez Volodine on meurt toujours de façon provisoire (mais peut être les personnages sont ils de toute façon déjà morts depuis longtemps), et l'identité des personnages n'est qu'une illusion (certainement crée par les membres de l'obscur gouvernement régnant qu'ils appellent l'Organisation). Se situer après l'Histoire c'est peut être simplement renverser la perspective et raconter l'Histoire mais pas du point de vue des vainqueurs.
Quand on est dans l'univers voulu par Volodine, c'est comme si on évoluait sur différents plans de réalité : il y a d'abord le monde réel (celui de la prison), puis l'autre monde (le post-exotique) et le monde du rêve (celui qui est de l'autre coté du miroir).
Les moines soldats du dernier recueil sont des personnages automates, ils obéissent aux ordres quels qu'ils soient, même les plus incompréhensibles, même les plus stupides. Ils y a une hiérarchie, une oligarchie que le lecteur ne doit pas connaître entièrement , on est toujours dans le flou. En ce sens, Volodine pousse encore plus loin dans le kafkaïen dans la description d'un monde absurde qui se souvient du monde d'avant, dans cet après histoire qui se souvient de l'histoire.
C'est tout l'enjeu du texte magnifique qui est au cœur du recueil Avec les moines-soldats intitulé La plongée. On trouve dans ce texte qui est un hommage aux voix post-exotiques tout la spécificité de cette langue. Entre le murmure et le chuchotement, la littérature post-exotique est dans le même moment un partage du temps au sein de la communauté pénitentiaire et l'expression d'une solitude exacerbée, elle est faite de ces voix qui entre deux silences disent l'Histoire ("on est accroupi dans l'histoire comme un animal déjà mort").


Commentaires

  1. Ton article est remarquable et explique parfaitement ce qui, pour moi, n'était pas tout à fait clair.

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