Le premier chapitre annonce et résume tout le projet
contenu dans le livre. Si ce n’est tout le projet, en tout cas ce qui ressort
de ces pages éblouissantes.
Il y a un Héron, au bord de la rivière qui coule à Kyoto :
la Kamo. C’est un animal majestueux et plein de grâce. Le temps pour lui ne
passe pas, « il tourbillonne vers le nulle part ». Le temps qui passe
est tout autour, il est à Kyoto. Notre ami le héron est là, présent mais comme
absent, « il devrait même sentir, immédiatement sentir combien ce
majestueux, cet immense animal blanc est vulnérable, car il est inutile ».
Il est tout entier à sa concentration, prêt à harponner
le poisson qui va passer.
« D’un coup de bec rapide et infiniment précis il
harponne et soulève quelque chose, tout se passe si vite qu’il est difficile de
le voir »
Et le monde autour poursuit sa course, Kyoto dans le flux
du temps et du monde, et le héron comme un étranger.
Ensuite, Krasznahorkai évoque la puissance de
concentration de l’animal qui attend sa proie. Il y met toute son attention,
tout son être est tendu vers ce moment où il harponnera.
Nous, sur la rive, nous ne pourrons pas voir cet éclair
de temps, parce que nous sommes dans une autre temporalité.
Il y a là dans le texte de Krasznahorkai, dans cette
histoire avec le héron, qui ouvre le livre une magnifique métaphore de la place
que nos sociétés accordent au monde de l’art (dit comme cela pour faire vite et
pour pouvoir tout englober). L’art est exactement comme cet animal, dans une
présence-absente, vulnérable, inutile et pourtant indispensable.
Et puis il y a cette fulgurance du moment où l’oiseau va
attraper le poisson dont il va se nourrir.
Et je crois que dans cet éclair de temps réside la vie
esthétique. Et qu’il y a justement là la place pour l’éblouissement. J’imagine
que ce héron est la métaphore de la présence de l’art, de la vie esthétique en
chacun de nous.
Krasznahoorkai parle de sa présence et de sa place dans
le flux du monde (son inutilité, même si le mot est à prendre de façon ironique).
Dans Seiobo est descendue sur terre, Krasznahorkai se
fait le romancier de l’illumination et de l’épiphanie
En mettant en scène nos rapports à l’art dans la plus
sacré qu’on lui octroie, il interroge ce sacré qu’il y a en nous. Il me semble
que tous les personnages qui peuplent ce livre sont en quête de cet instant.
Krasznahorkai dit au travers de ces nouvelles l’importance
qu’il y a de se placer sur les rives peu profondes de la Kamo, de sortir du
temps, d’exercer sa concentration à la recherche de ces moments où nous pouvons
« harponner » la grâce et la beauté.
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