Rentrée littéraire 1 - Viva de Patrick Deville

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Patrick Deville est un formidable compagnon de route.
Comme romancier, il se fait le chroniqueur de certains moments du passé. Ce genre de moments caractéristiques d'une époque donnée et constitutifs d'une mythologie.
Son roman Peste et Choléra est avant tout le portrait d'une époque au travers de la vie du médecin pasteurien Yersin : ce grand moment positiviste en France entre la troisième république et l'entre deux guerre, un moment où tout semble possible. Les limites de la science son sans arrêt repoussées, le monde moderne (celui dont nous sommes les héritiers) est en train de se fabriquer. Dans ce monde là Yersin est toujours à la pointe de la modernité, souvent même à l'avant garde, il invente et façonne ce qui nous est quotidien aujourd'hui et sur quoi nous ne réfléchissons plus.
Le talent du romancier est d'arriver à se trouver une place dans ce genre de récits. Il est dans le moment présent, comme témoin de ce passé; il trouve une place d'équilibriste entre hier (moment ou les événements se déroulent) et aujourd'hui (moment ou la mythologie a opéré). Du coup c'est aussi la place du lecteur qui devient étrangement décalé (c'est un des charmes des livres de Deville).
Ce sentiment d'être là à contempler le glorieux passé est renforcé par l'usage systématique du présent de l'indicatif.
Bref on l'aura compris, ce qui intéresse Deville - me semble t'il - c'est de placer son lecteur près de lui et au plus près du moment où se déroule l'action ; témoin contemporain de ce passé prestigieux, sans cesse au carrefour des idées et des réalisations.
Le lecteur est dans un entre-deux instable mais terriblement efficace... on est dans le voyage. Mieux que cela, on voyage à travers le temps et l'espace.

Son dernier roman Viva ne déroge pas à cette règle que l'on retrouve de roman en roman que ce soit dans son projet triptyque autour de l'équateur ou dans Peste et Choléra. Ce qui change, c'est la matière romanesque. Ici il a singulièrement raccourci le moment historique et augmenté la longueur focale. Pour nous faire lire une fresque autour non plus de l'idée de la modernité mais du sens révolutionnaire.
Nous sommes dans le Mexique des années 1930, dans cet intense moment créatif qui rayonne autour de deux pôles : d'un côté le couple Rivera/Kahlo et de l'autre Malcolm Lowry et la fabrique du "volcan".
D'un coté le surréalisme mexicain et l'engagement politique dans l'aventure révolutionnaire avec la présence de l’exilé Trotsky dans ce qui sera sa dernière demeure.
Et de l'autre le génie solitaire, perdu dans l'alcool, en train de mettre en branle un roman hors normes, une sorte de point d'orgue romanesque.
Et dans les deux cas, ce sur quoi Deville met l'accent, c'est le sens révolutionnaire. Il le fait comme à son habitude avec beaucoup d'énergie et de passion.
Parce qu'il met en opposition deux conceptions du génie. Il y a celui, solitaire, et ténébreux de Lowry, le génie qui lutte au corps à corps avec son livre. Et celui plus roboratif de l'aventure collective. Celui de la « petite bande » qui qui gravite autour de l'ogre Rivera et de la sensuelle et attachante Frida.
Autant Lowry est seul et isolé , autant la bande est dans le flux du monde.
Notons au passage que Deville aime ces "bandes" il les recherche et s'y attache. On peut en trouver dans Equatoria comme dans Peste et choléra. Souvenons nous  de Shakespeare dans Henry V : "We few, we happy few, we band of brothers."
Il y a beaucoup de charme dans les personnages de la bande, parce qu’ils sont tous une invitation à prolonger le moment que dépeint Deville, ils sont autant de pistes de lecture.
On découvre par exemple Tina Modotti et son sens de l’engagement dans la photographie (à noter au passage la publication d’un livre de Elena Poniatowska aux éditions de l’Atinoir : Tinisima)

Viva est un roman de Deville comme on les aime, encyclopédique et généraux. 

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